Lorsqu’il parle éthique et intégrité, le gouvernement libéral tient de beaux discours. En modifiant le Régime d’intégrité en matière d’approvisionnement, il semblait vouloir s’assurer 1) de ne faire affaire qu’avec des fournisseurs dont le comportement est conforme à l’éthique et 2) que l’argent des contribuables et les services publics sont utilisés à bon escient, et non à des fins de corruption, de fraude ou de mauvaise gestion, comme c’est souvent le cas.
Malheureusement, ce n’est pas ce qui transparaît des agissements récents des hauts dirigeants du gouvernement par rapport à SNC-Lavalin et d’autres entreprises.
À l’heure actuelle, le gouvernement a approuvé la soumission de deux consortiums d’entreprises pour la construction, l’exploitation et l’entretien de plusieurs centrales de chauffage dans la région d’Ottawa-Gatineau, un vaste projet évalué à environ 5 milliards de dollars. SNC-Lavalin et Engie/Suez, deux entreprises qui ont suscité de nombreuses controverses, font partie de chacun de ces consortiums.
En ce moment, tous les médias s’interrogent : qui, dans l’entourage du premier ministre, aurait tenté d’influencer l’ancienne ministre de la Justice dans l’affaire SNC-Lavalin? Qui a fait pression sur qui?
SNC-Lavalin s’y connaît en matière de corruption. La firme est actuellement poursuivie au pénal pour corruption et fraude relativement à des transactions avec des titulaires de charges publiques libyens. La firme et bon nombre de ses sociétés affiliées ont été radiées par la Banque mondiale et sont inscrites sur sa liste de corruption. Elles ne peuvent donc plus soumissionner pour ses projets Cette sanction résulte de problèmes liés à un projet mené au Bangladesh. SNC-Lavalin est mêlée à de nombreux autres cas de corruption, des poursuites judiciaires et des projets troubles.L’influence que la firme d’ingénierie peut avoir sur les décisions du gouvernement Trudeau concernant les échanges commerciaux avec le Royaume d’Arabie saoudite est particulièrement préoccupante, étant donné ses fréquentes activités de lobbying.
En 2015, les libéraux auraient pu empêcher SNC-Lavalin de soumissionner les contrats du gouvernement fédéral parce que la firme faisait l’objet d’une enquête de la GRC, mais ils se sontcontentés de conclure une entente avec elle, moins d’un mois après leur assermentation. Cette entente a permis à SNC-Lavalin de poursuivre ses activités, notamment la construction du pont Champlain de Montréal — un projet accusant un énorme retard, dont le budget a explosé et qui pourrait être lié à de nouvelles accusations criminelles contre la firme –, l’exploitation du Laboratoire nucléaire de Chalk River et la construction sur les lieux d’une installation qui abritera les déchets radioactifs, contrairement aux recommandations des scientifiques nucléaires. On s’interroge actuellement sur l’avenir de l’entreprise advenant des condamnations.
Engie est une multinationale française qui a cédé Suez Environment, sa société de distribution d’eau dont elle détient toujours 35 % des actions. Suez Environnement opère en partenariat public-privé (PPP) dans les secteurs du traitement des eaux et de la gestion des déchets. Les PPP auxquels a participé Suezont souvent entraîné des conséquences désastreuses. Ainsi, à Bayonne, au New Jersey, un partenariat avec Suez et KKR a fait exploser le prix de l’eau dans cette municipalité. À Hoboken, dans le même État, plusieurs bris d’aqueduc ont causé des problèmes. Les dirigeants de Suez, qui exploite le système, nient toute responsabilité et prétendent que c’est à la ville et à ses citoyens d’investir davantage dans les infrastructures. La municipalité poursuit la société.
En Europe, Suez et un certain nombre d’autres conglomérats du secteur de l’eau et des eaux usées sont impliqués dans plusieurs affaires de corruption. La société aurait usé de corruption pour se procurer des marchés publics en Afrique. Engie a reconnu sa responsabilité relativement aux problèmes de fissures dans le béton des centrales nucléaires à Bruxelles. Pourquoi le gouvernement du Canada a-t-il choisi Engie comme l’un des promoteurs du projet des centrales de chauffage et du nouveau centre de préservation de Bibliothèque et Archives Canada à Gatineau? Pourquoi a-t-il choisi Suez comme fournisseur d’équipement de traitement des eaux usées à Parcs Canada? Pourquoi le gouvernement a-t‑il laissé SNC-Lavalin continuer à soumissionner pour les projets du gouvernement fédéral, dont ceux des centrales de chauffage complexes qui assurent le chauffage et le refroidissement de la plupart des principaux immeubles fédéraux au centre-ville? Voulons-nous vraiment confier les plus importants documents historiques de notre pays ou la construction, l’exploitation et la gestion d’infrastructures essentielles à la santé et à la sécurité de 50 000 fonctionnaires à des entreprises qui ont une telle réputation?
Les PPP sont la vache à lait des entreprises privées. Ils procurent un revenu régulier à ces entreprises dont les contrats s’étalent sur plusieurs décennies, tout en refilant souvent le risque et les factures élevées aux contribuables.
Si notre gouvernement veut s’assurer que les pratiques commerciales sont conformes à l’éthique et que l’argent des contribuables canadiens est utilisé à bon escient, il doit cesser de faire affaire avec des sociétés à la réputation douteuse qui font face à des accusations criminelles et d’accepter leurs soumissions. Nos dirigeants doivent mettre l’intérêt public au premier plan dans toute prise de décision. Ils doivent veiller à ce que les services publics sont fournis par des fonctionnaires, dans des installations publiques entretenues et exploitées par le gouvernement.