Au début mars 2020, des jeunes travailleuses et travailleurs, membres de la 13e délégation L’éducation en action de l’AFPC, se sont envolés pour le Guatemala. Ce projet est organisé tous les ans par le Fonds de justice sociale (FJS) de l’AFPC en collaboration avec l’organisme de solidarité L’éducation en action. Frédérique Conradi est membre de cette délégation. Voici son histoire.
Lors d’un récent voyage au Guatemala dans le cadre du projet L’éducation à l’œuvre du Fonds de justice sociale (FJS) de l’AFPC, notre délégation a rencontré plusieurs membres du mouvement de résistance autochtone qui défendent les injustices auxquelles font face les travailleuses et les travailleurs guatémaltèques. Selon les statistiques officielles, plus de 40 % de la population s’identifie comme étant autochtone, mais ce taux est probablement plus élevé. Les organisateurs communautaires que nous avons rencontrés et qui font face à de nombreux défis tant à l’échelle locale qu’internationale font preuve d’une force, d’une détermination et d’un engagement exceptionnels. J’ai trouvé édifiant de voir avec quels groupes l’AFPC est solidaire et d’en apprendre davantage sur les mesures prises afin de défendre leurs intérêts. Nous avons pris connaissance pour la première fois des injustices commises à l’endroit de nombreux Guatémaltèques lorsque nous avons entendu le témoignage de Kimberly, une jeune femme de 18 ans qui comptait parmi les 15 survivantes d’un incendie survenu dans un établissement géré par le gouvernement et qui a coûté la vie à 45 de ses compagnes de classe. Les failles du système judiciaire du pays ainsi que le manque d’intérêt et de compassion envers la situation des pauvres sont flagrants.
À la défense du territoire
La souveraineté territoriale était au cœur de nombre de discussions. Nous avons d’abord rencontré les membres de Festivales Solidarios, un organisme communautaire qui plaide en faveur de la libération des prisonniers politiques qui sont, pour la plupart, des défenseurs du droit à la terre. Employant un langage imagé et des slogans mobilisateurs, ils ont réussi à rallier à leur cause des gens de partout au pays. Nous avons ensuite rencontré des membres du parlement Xinka, le premier parlement autochtone du pays qui, depuis près de dix ans, défend ses droits territoriaux contre les sociétés minières canadiennes, notamment en érigeant des barricades. Dans le cadre de leurs efforts, ils ont été confrontés à un nombre incroyable d’actes de violence de la part de ces sociétés établies au Canada. Nous avons aussi passé plusieurs jours en compagnie des membres du Comité Campesino Del Altiplano (CCDA), l’un des principaux partenaires du FJS, qui défend les droits territoriaux et le droit à l’autodétermination des agriculteurs autochtones.
La question des droits territoriaux a toujours été un problème. Les terres du Guatemala sont contrôlées par des entreprises qui cherchent avant tout le profit, au détriment de la durabilité et de la santé et de la sécurité des habitants. Le Guatemala a la plus grande concentration de propriété territoriale au monde : 2,5 % des grands propriétaires fonciers contrôlent deux tiers des terres agricoles les plus fertiles, tandis que les petits agriculteurs – la plupart des Autochtones – doivent survivre avec moins d’un sixième du territoire, dont la majeure partie se trouve dans les villages autochtones, où les habitants souffrent souvent de malnutrition. Cette inégalité est en grande partie due au fait que la plupart des terres appartiennent à de grandes entreprises agricoles.
Souveraineté alimentaire
Ce qui m’a le plus frappé durant notre voyage a été la résilience et la créativité dont font preuve les groupes autochtones dans leur lutte. Parmi leurs efforts de résilience dont nous avons pris connaissance, mentionnons leur combat pour la souveraineté alimentaire ou « le droit du peuple de décider de son propre système alimentaire et agricole, y compris son droit de produire et de consommer des aliments sains et culturellement appropriés » (Via Campesina, 2020, pp. 15, traduction libre). Il s’agit d’une façon radicale de s’opposer aux géants de la production agricole qui persécutent un trop grand nombre de gens et qui contribuent à l’insécurité alimentaire.
Plusieurs programmes du CCDA, comme ceux menés par des femmes (fermes d’élevage de poisson, jardins de plantes médicinales et serres aménagés aux domiciles des participants), jumelés aux occasions de formation féministes ont donné aux femmes guatémaltèques les moyens d’action afin d’assurer leur place sur le marché du travail tout en continuant de respecter la terre et leur culture. Par ailleurs, le projet Café Justicia offre aux agriculteurs une formation en agriculture biologique. Cet organisme verse à ses employés un salaire qui est 15 % supérieur à ceux qu’offrent la plupart des autres entreprises, en plus de leur offrir une formation sur les méthodes durables comme le vermicompostage. Cette initiative permet aux agriculteurs autochtones de mieux prendre soin de leurs terres.
Lors de notre séjour, nous avons eu le privilège de visiter la Institute of Mesoamerican Permaculture (IMAP). Cet établissement contribue lui aussi à l’autodétermination des producteurs en leur montrant des techniques de récolte des plantes traditionnelles et en veillant à la préservation des graines de plantes indigènes, de sorte à ne pas les perdre ou à ce qu’elles ne soient pas remplacées par d’autres qui dépendent de fertilisants chimiques, de pesticides ou d’autres produits onéreux qui ruinent le sol. Comme 80 % du territoire de la ville de San Lucas Toliman est destiné à la caféiculture, les agriculteurs ne font pas pousser leur propre nourriture et dépendent des importations. L’IMAP leur offre de la formation afin qu’ils apprennent comment faire pousser leurs propres aliments dans des espaces restreints en employant des pratiques viables, des connaissances ancestrales mayas et de nouvelles technologies. Ces organismes tentent de reprendre le contrôle du territoire et de la culture qui s’y fait, de sorte à respecter les croyances culturelles de la région et de protéger la santé du sol et des habitants. La souveraineté alimentaire, c’est d’avoir accès aux terres et la possibilité de faire pousser des aliments nutritifs et culturellement appropriés
Solidaires avec les Guatémaltèques
La résilience de ce peuple est certes admirable. Cela dit, les collectivités autochtones de partout dans le monde ne devraient pas à avoir à se battre contre des entreprises à but lucratif. La nutrition et l’alimentation sont des droits. Par conséquent, les denrées ne devraient pas être considérées comme de simples produits de marchandise. Nous pouvons également les aider dans leur lutte pour se réapproprier leurs droits territoriaux. Beaucoup d’aliments vendus au Canada sont le fruit de mauvaises pratiques de travail au Guatemala ou ailleurs dans le monde, y compris chez nous. En nous renseignant sur l’origine des produits alimentaires que nous achetons et en appuyant les projets et les organismes communautaires comme ceux que soutient le FJS, nous pouvons contribuer à mettre fin à certaines injustices. Mon séjour au Guatemala m’a certes ouvert les yeux. J’ai bien compris l’incidence des multinationales sur le territoire et l’importance des initiatives de souveraineté alimentaire ici comme ailleurs.
par Frédérique Conradi
Frédérique est déléguée syndicale, membre de la section locale Y018 du Syndicat des employé‑e‑s du Yukon (SEY). Elle est également la directrice des jeunes au sein du Conseil exécutif du SEY.
*Via Campesina. (2020). The solution to food insecurity is food sovereignty. (anglais seulement)