Une étudiante à la maîtrise examine ses factures en se demandant comment elle va pouvoir les payer. Même si elle a eu droit à des bourses d’études, ses fonds s’épuisent, car elle a perdu son emploi d’auxiliaire d’enseignement quand la session d’été a été annulée. Elle arrondissait ses fins de mois en travaillant dans un resto du quartier, mais là aussi, elle a été mise à pied quand la pandémie a forcé la fermeture des restaurants et des bars.
La prestation canadienne d’urgence (PCU) lui a permis de survivre pendant un certain temps, mais elle tire à sa fin – le prochain versement sera le dernier. Elle doit donc trouver un emploi le plus rapidement possible. Son coloc fait soudainement irruption dans la pièce, attrape son lunch et lui envoie la main alors qu’il part travailler. Lui aussi a été mis à pied au début de la pandémie, mais il s’est vite recasé ailleurs. Elle décide donc de mettre ses factures de côté et ouvre son portable pour poursuivre sa recherche d’emploi.
La pandémie de COVID-19 a accentué les inégalités auxquelles les femmes sont confrontées au sein de la société canadienne. En moyenne, les femmes gagnent moins que les hommes et beaucoup d’entre elles occupent un emploi précaire. Elles ne jouissent pas non plus de la même sécurité financière. La pandémie a contribué à élargir cet écart, à augmenter les inégalités socioéconomiques et pourrait faire reculer de plusieurs décennies les avancées des femmes sur le marché du travail.
Ces disparités sont d’autant plus grandes pour les femmes marginalisées, notamment les femmes âgées, racialisées, noires, autochtones, lesbiennes, bisexuelles et transgenres, ainsi que les personnes non binaires, les immigrantes et les femmes ayant un handicap. En raison de la discrimination et du racisme systémique dont elles sont victimes, ces femmes auront de plus en plus de difficultés à s’en sortir une fois que l’économie reprendra et risquent de compromettre leur santé.
Dans la 2e partie de la série sur les femmes et la COVID-19, nous examinons l’impact de la pandémie sur les femmes au travail.
Perte de sécurité d’emploi et d’autonomie financière
Même avant la pandémie, le chômage, le sous-emploi et le travail à temps partiel étaient le lot de nombreuses femmes en raison de leurs obligations familiales. Et les choses ne se sont pas améliorées avec l’éclosion de la COVID-19. Selon Statistique Canada, près de 300 000 femmes de 25 à 54 ans ont perdu leur emploi en mars, comparativement à 127 000 hommes du même groupe d’âge.
Cela s’explique en grande partie par le nombre de femmes travaillant dans les secteurs les plus touchés par les fermetures. Selon Statistique Canada, les femmes occupent 69 % des emplois en éducation et près de 59 % de ceux dans la restauration et le secteur hôtelier. Non seulement les femmes étaient-elles deux fois plus susceptibles de perdre leur emploi, mais leur retour au travail s’est fait plus lentement lors de la reprise des activités économiques. En effet, le taux d’emploi des hommes avait augmenté de 2,4 % (206 000 emplois) en mai, alors que celui des femmes n’avait augmenté que de 1,1 % (84 000 emplois).
La fermeture des écoles et des garderies a érigé un obstacle supplémentaire pour de nombreuses femmes du fait qu’elles sont souvent, plus que les hommes, obligées de limiter leurs heures de travail ou de laisser leur emploi pour prendre soin de leurs enfants. Le mois dernier, Statistique Canada rapportait qu’en raison de la pandémie, les femmes étaient plus susceptibles de voir leurs heures de travail diminuer ou même de quitter leur emploi pour prendre soin de leurs enfants ou d’autres membres de la famille. En mai, le taux de retour au travail des femmes ayant des enfants était inférieur à celui des hommes ayant des enfants.
Femmes racialisées et obstacles à l’emploi
D’autres facteurs, comme la race, viennent aggraver la situation. D’après une étude de l’Université de Toronto menée en 2016, les candidats à un emploi dont le nom a une consonance anglaise ont quatre fois plus de chances d’être conviés à une entrevue. En comparaison, ceux dont le nom a une consonance noire ou qui ont fait du bénévolat auprès d’une organisation noire n’ont que 10 % des chances. Les femmes racialisées ont donc moins de chance d’être appelées à une entrevue.
Les résultats de cette étude contribuent à expliquer les données recueillies par Statistique Canada en 2018 sur le chômage. Cette année-là, le taux de chômage parmi les femmes racialisées était de 10 %, comparativement à 8,7 % pour les hommes racialisés, 7 % pour les hommes non racialisés et 6,4 % pour les femmes non racialisées. Ces statistiques semblent en décalage avec le fait que 30 % des femmes racialisées sont titulaires d’un diplôme universitaire comparativement à 19,5 % des femmes non racialisées. Avec l’arrêt des activités économiques provoqué par la pandémie, les possibilités de trouver un emploi pour les femmes racialisées seront encore plus rares.
Pour éviter que la pandémie ne devienne le catalyseur d’une récession pour les femmes, le gouvernement doit :
- financer des programmes visant à aider les femmes à réintégrer le marché du travail et à se recycler dans un autre domaine d’emploi, le cas échéant;
- étendre l’accès à des services de garde sécuritaires et agréés aux parents d’enfants d’âge préscolaire ou scolaire afin d’éliminer les obstacles au retour des femmes sur le marché du travail;
- mettre en œuvre les recommandations de l’AFPC issues de sa stratégie antiraciste.
II faut agir!
Comment pouvez-vous aider? Demandez au ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Ahmed Hussen, de mettre en œuvre une stratégie de relance pour protéger les services de garde à l’enfance de la pandémie.