La justice au service de la guérison : le travail de FAMDEGUA au Guatemala
Par Carlos Gardella
En mars dernier, j’ai participé au programme L’éducation à l’œuvre de l’AFPC, au Guatemala, une expérience instructive qui m’en a appris davantage sur le respect.
Malgré les conditions de pauvreté matérielle, j’ai aimé vivre parmi les gens des hautes terres, un peuple magnifique au grand cœur. La population et les organisations communautaires nous ont accueillis les bras ouverts. Nous les avons écoutées parler de leurs écueils et avons reconnu leurs aptitudes, leurs compétences et le courage dont elles font preuve pour survivre et surmonter les difficultés. On m’a traité avec respect, bonté et bienveillance, et j’ai retenu d’importantes leçons.
Malheureusement, un vent de confrontation et de polarisation souffle sur le monde et menace d’emporter avec lui le respect, en laissant derrière lui des conséquences terribles.
C’est ce qui s’est produit en Amérique latine pendant la guerre froide. À l’époque, de nombreuses dictatures civilo-militaires ont transgressé les droits de la personne et commis des crimes contre l’humanité qui hantent encore les familles guatémaltèques.
Dans la capitale, Guatemala, nous avons rencontré l’organisme FAMDEGUA, une association qui aide des familles à retrouver leurs proches disparus.
FAMDEGUA a été créé par les proches de Guatémaltèques disparus pendant la guerre civile (1960-1996). Depuis 1992, l’organisme œuvre à préserver la mémoire historique et la justice. Pour ce faire, il recherche les victimes de disparition forcée, dénonce les violations des libertés et droits fondamentaux, procède à des exhumations et à des enterrements, accompagne les proches dans des procédures judiciaires, et sensibilise les familles à ces expériences.
À Guatemala, FAMDEGUA a établi son quartier général dans une maison qu’il a remplie de photos d’êtres chers disparus. En y mettant le pied, je me suis retrouvé au milieu de pères, de mères, de maris, d’épouses, de fils, de filles, de frères et de sœurs qui ont été enlevés, torturés, tués.
Ce fut un moment particulièrement émotif pour moi, qui ne suis pas étranger à ce genre d’atrocités. Originaire du Chili, je sais trop bien ce que c’est de vivre sous la tyrannie d’une dictature civilo-militaire qui sépare des familles à jamais et cache les corps des disparus. Encore aujourd’hui, des milliers de familles ne peuvent tourner la page, leurs proches demeurant introuvables. Leur blessure ne pourra jamais guérir sans vérité ni justice.
Se faire arracher une personne qu’on aime est particulièrement déchirant, car cette séparation n’est pas attribuable à des causes naturelles. Elle est arbitraire. Quand on perd un proche et qu’on se voit privé de la chance de lui parler, de le serrer dans nos bras, de lui exprimer notre amour et de lui dire à quel point on a besoin de lui, la tristesse qui nous envahit est incommensurable.
Si seulement la mort pouvait épargner les gens qu’on aime pour qu’on puisse les étreindre pour toujours! C’est malheureusement impossible, mais la plupart d’entre nous ont au moins la chance de savoir où gisent leurs êtres chers et de pouvoir leur rendre visite, leur souhaiter de reposer en paix et chérir leur souvenir et leur amour.
Imaginez ne jamais pouvoir retrouver le corps d’une personne aimée… La douleur est infinie. Là où devrait reposer le corps, l’absence prend toute la place. On n’a nulle part où apporter des fleurs, où entretenir une conversation silencieuse et où exprimer son affection et son amour. Ce baume, cette consolation nous sont volés, emportés par la cruauté.
Sur son site Web, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme affirme : « Il s’agit d’un droit fondamental des familles : le droit de savoir ce qu’il est advenu de leur proche, disparu ou décédé. Le droit à la vérité, le droit de savoir précisément ce qui s’est passé et le droit à la justice, à la vie et à la réparation y sont liés. »
Malgré les difficultés et les menaces, FAMDEGUA se consacre à l’exhumation de dépouilles et à la collecte de témoignages, condamnant l’État du Guatemala et l’obligeant à mener les enquêtes et les procédures judiciaires nécessaires pour punir les auteurs de ces crimes. Avec l’aide d’autres organismes, dont le Fonds de justice sociale de l’AFPC, FAMDEGUA joue un rôle clé pour exiger des enquêtes et localiser plus de 45 000 personnes détenues-disparues.
L’AFPC et le mouvement syndical doivent continuer d’appuyer la lutte pour le respect des droits de la personne. Ensemble, nous pouvons contribuer à une société axée sur le respect, la vérité et la justice qui adhère sans réserve aux principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi canadienne sur les droits de la personne. En ces temps de polarisation sociopolitique, ancrons nos efforts dans ces principes afin de bâtir un meilleur Canada pour tout le monde.
À titre de personnes syndiquées, nous pouvons retenir bien des choses de l’expérience de FAMDEGUA. L’organisme est un modèle d’organisation, de courage et de persévérance dans la lutte pour la vérité et la justice, mais aussi un exemple de résilience et d’espoir. En dépit des conditions difficiles, des menaces de mort, de la mort et des malheurs, il continue d’avancer.
Je me demande si, en bout de ligne, les familles ne sont pas immortelles. Peut-être les gens ne meurent-ils véritablement que lorsqu’ils tombent dans l’oubli.
Carlos Gardella est le délégué syndical en chef de la section locale 30910 de l’UEDN à Medicine Hat, en Alberta. À l’AFPC, il est aussi président du Comité des droits de la personne de Calgary et du sud de l’Alberta.