L’éducation en action 2020 : Corruption politique au Guatemala

Au début mars 2020, des jeunes travailleuses et travailleurs, membres de la 13e délégation L’éducation en action de l’AFPC, se sont envolés pour le Guatemala. Ce projet est organisé tous les ans par le Fonds de justice sociale (FJS) de l’AFPC en collaboration avec l’organisme de solidarité L’éducation en action. Charito Humphreys est membre de cette délégation. Voici son histoire.

Tout au long de ma vie, je ne me suis jamais senti mal à l’aise en présence de policiers. J’ai toujours eu le sentiment que je pouvais leur demander de l’aide si j’avais besoin d’être protégé. J’ai toujours eu confiance que le gouvernement ferait respecter la loi et rendrait justice. Mais tout ça a changé quand je suis allée au Guatemala.J’avais bien sûr entendu des témoignages et vu des photos décrivant des pays où la corruption politique était omniprésente, mais c’est une tout autre histoire lorsqu’on arrive dans un pays et qu’on est confronté à cette réalité.

À mon arrivée au Guatemala, je savais que le pays était gouverné par un régime corrompu. Et puis, j’ai entendu parler de l’incendie mortel au centre d’accueil Hogar Seguro Virgen de la Asuncion du 8 mars 2017 qui a fauché la vie de 41 jeunes filles et en a blessé 15 autres. On m’a également mentionné à quel point la corruption avait gangréné toute cette tragédie et les événements qui en ont découlé. J’en fus absolument horrifié.

Hogar Seguro devait être un foyer d’accueil pour des enfants et adolescents issus de milieux pauvres ayant des troubles de comportement. Financé par l’État, ce centre devait offrir à ces jeunes filles un milieu de vie sécuritaire où elles pouvaient continuer leurs études. Mais c’était bien loin de la vérité. Il s’avère que ces enfants n’avaient pas droit à la visite de leur famille et qu’elles ont été victimes de mauvais traitements et d’agressions sexuelles. 

Dans la nuit du 7 mars 2017, un groupe de jeunes filles avaient décidé de s’enfuir, car elles ne pouvaient plus tolérer ces mauvais traitements. Certaines d’entre elles ont réussi à s’échapper, mais ont vite été interceptées par la police. Lors de leur arrestation, les policiers les ont menottées et forcées à s’agenouiller. Un policier a blessé une jeune fille au ventre et à la jambe à l’aide de ciseaux. Ces jeunes filles, âgées de 12 à 17 ans, ont été traitées comme des criminelles. Certaines ont été menées en prison alors que les autres ont été ramenées au centre Hogar Seguro. Cette nuit-là, 56 jeunes filles ont été enfermées dans une salle de quatre mètres carrés, une salle qui normalement ne peut contenir plus de 26 enfants. Elles n’avaient pas accès aux toilettes et on leur a servi un repas bourré de sédatifs.

Après une nuit éprouvante, juste avant 9 h du matin, un incendie a éclaté dans la salle où elles étaient détenues. Or, des policiers et du personnel se trouvaient tout près de la salle lorsque le feu a pris naissance. Les jeunes filles les ont suppliés de les délivrer et de les laisser sortir. Une d’elles a entendu un policier dire : « Laissez ces salopes brûler ». Il aura fallu neuf minutes avant que quelqu’un daigne leur ouvrir la porte. Mais il était trop tard pour 19 d’entre elles qui sont mortes sur le coup et pour les 22 autres qui ont succombé à leurs blessures quelques semaines plus tard.

Qu’a fait le gouvernement guatémaltèque à la suite de cette tragédie? Le président d’alors, Jimmy Morales, avait été mis au courant de la situation, mais il n’a pas jugé nécessaire que son gouvernement intervienne. Une enquête criminelle a été ouverte. Onze personnes ont été accusées d’actes criminels en lien avec la tragédie du 8 mars 2017, mais aucune condamnation n’a été prononcée à ce jour. Le président Morales risquait d’être tenu responsable, mais le processus judiciaire a été retardé par diverses manipulations politiques et toutes les poursuites ont été suspendues.

Moins de deux ans plus tard, le président Morales a abruptement mis fin à l’accord avec les Nations Unies instituant la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (connue sous le sigle CICIG). Cette commission anticorruption et indépendante avait réussi à poursuivre en justice et condamner des politiciens de haut rang pour des actes de corruption, de financement illégal, d’abus de pouvoir et d’extorsion. Bien que la communauté internationale ait réprouvé la décision unilatérale du président guatémaltèque de mettre fin au mandat de la commission, l’élite politique et d’affaires du Guatemala l’a soutenue. La corruption politique au Guatemala prévaut toujours.

Comment vivre dans un pays qui laisse des meurtriers impunis? Comment faire confiance aux forces de l’ordre qui laissent de jeunes filles brûler vives? Comment avoir confiance en un système judiciaire qui ne permet pas à la justice de suivre son cours?


Au milieu de cette tragédie, cinq femmes de la communauté voisine ont décidé de fonder le collectif Ocho Tijax Colectivo, une organisation populaire qui réclame justice pour les 15 survivantes et les jeunes filles décédées ainsi que leurs familles. Au sein de ce réseau de solidarité citoyenne, on compte des mères comme Vianney Hernandez, mère d’Ashley, 14 ans, une jeune fille qui a péri dans l’incendie. Vianney ose maintenant prendre la parole aux quatre coins du monde pour raconter son histoire et lutte chaque jour pour obtenir justice. Toute comme Kimberly, une des survivantes qui partage pour la première fois son histoire. Elle avait 15 ans lors de cette tragédie. Elle essaie aujourd’hui de se construire une nouvelle vie. Ces femmes résilientes donnent espoir qu’un jour justice sera rendue et que les personnes qui ont commis ces crimes odieux seront condamnées.

Mon expérience avec le Fonds de justice sociale de l’AFPC m’a rappelé pourquoi je lutte pour les droits de la personne. Je me rends compte aussi que la justice sociale n’est pas seulement un enjeu national, mais aussi mondial, pour lequel nous ne devons pas cesser de lutter. J’espère que le plus grand nombre de personnes pourront vivre une expérience comme celle que j’ai vécu par l’intermédiaire du Fonds de justice sociale et qu’ensemble, nous continuerons à travailler afin d’obtenir justice pour toutes et tous.

par Charito Humphreys 

Charito est présidente de la section locale 40811 du Syndicat de l’Emploi et de l’Immigration du Canada (SEIC) et vice-présidente suppléante du SEIC pour la région Manitoba/Saskatchewan.

20 Août 2020